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Maxime Mathieu
Maxime Mathieu

Mark est assis dans son fauteuil, il regarde par la fenêtre le monde bouger sans lui. Sortir par une fenêtre ? Est-ce vraiment si compliqué ?

24 minutes

Le soleil s'immisce à travers les rideaux et pénètre, par habitude, les yeux fermés de Mark. Il ouvre une paupière, puis une autre. Le réveil coqueline. Il lève la tête. L’odeur de l’été traverse ses narines. Il étend ses bras. Le chant des oiseaux muets de la ville siffle toujours la même chanson. Il bâille. Devant lui, un poster d’Arno lui souhaitant un « Bon courage ! » quotidien. Il quitte son lit et se dirige machinalement vers la cuisine. Le café coule au fond de sa gorge et laisse un goût amer, qu’il apprécie par accoutumance. Il accède à la salle de bain. L’eau brûlante se répand sur son corps et contracte ses muscles comme le rite initiatique d’une journée coutumière. Il revêt une chemise blanche. La tartine beurre-confiture satisfait son assuétude matinale. Il endosse sa veste. La poignée de la porte d’entrée s’endurcit. Il arrive sur le trottoir. La boulangère d’en face disperse, par tradition, les arômes de ses croissants chauds. Il emprunte la ruelle longeant son immeuble. À gauche, un parc voit ses fleurs grandir un peu plus chaque jour. Il tourne à droite après le feu rouge. L’écho habituel des enfants, déjà surexcités, le guide à travers les rues étroites. Il passe en dessous du pont. L’émanation des gaz d’échappement l’attire automatiquement contre son gré vers la grande avenue. Il traverse et se retrouve devant la porte d’entrée de son travail.

Lorsque Mark est arrivé dans cette ville, il ne connaissait personne. Il est arrivé par hasard au service des archives départementales et s’est présenté pour trier et ordonner ces tonnes de documents. Un bienheureux coup du destin puisque son prédécesseur est parti quelques semaines plus tôt. Son patron, un homme condescendant, lui a proposé d’habiter un appartement meublé que possède un de ses proches amis. Cela lui convient parfaitement, Mark n’aime pas s’attacher aux objets. De plus, son salaire n'est pas flamboyant. Il préfère acheter des livres. Car Mark aime lire et c’est bien plus qu’une passion pour lui. Il n’a ni télévision ni radio, pas de connexion internet, un téléphone laissé à l’abandon. Il ne sort de chez lui qu’en cas d’extrême nécessité. Il n’a pas d’amis, il ne fait pas la fête, il ne voit ses collègues que lorsqu’il entre ou sort du bureau. Mais au fil de sa vie, Mark s’ennuie. Son travail n’a aucun intérêt. Il reste, car il est convaincu qu’il ne peut rien faire d’autre et aussi, car la tranquillité lui permet de passer des journées entières à lire. Il rêve parfois de partir sur les routes, de courir à travers le monde et ainsi découvrir en personne ce que racontent ses livres. Mark ne parle aucune langue étrangère, d’ailleurs il ne parle que très peu. Son manque de sociabilité le renferme encore plus sur lui-même. Ses voyages oniriques sont le seul moyen de lui permettre de s'échapper. Mark s'imagine parfois aventurier, mais son confort le ligote à son appartement, à son travail, à sa vie. Mark n’aime pas changer ses habitudes.

Aujourd’hui, c’est plutôt calme aux archives donc Mark peut aisément se plonger dans un bouquin. Ce dernier conte l’histoire d’un aventurier ayant tout quitté pour faire le tour du monde, un banal tour du monde comme en raconte des centaines d’exemplaires. Celui-ci est différent. Mark se reconnaît dans l’ancienne vie du personnage. Une vie calme, bien rangée, morose. Cet aventurier est parti du jour au lendemain sans prévenir ni famille ni amis. Un matin il ne s’est pas présenté au travail et le soir même il avait déjà parcouru des milliers de kilomètres...

« Eh bien Mark ! Je vois que ça bosse dur ! dit son patron.

  • Bonjour, Monsieur, euh... oui désolé. Pardon, je n’aurais pas dû.
  • Il n’y a pas de mal ! Tant que le boulot est fait. Est-il fait d’ailleurs ?
  • Euh... j’ai bientôt terminé, répondit Mark troublé.
  • Mon petit bonhomme je vais te raconter une histoire : la mienne. Un jour, un jeune et beau garçon de vingt et un ans se rendit au même poste que toi. Il y passa quelques mois en compagnie de quatre autres personnes. Il se rendit compte que ce travail, sans grand intérêt, occupait cinq salaires pour une plus-value quasiment inexistante. Alors il décida de revoir complètement l’organisation et en quinze semaines, déjà trois employés furent reconduits dans leur fonction, car inutile aux archives. À peine un an plus tard, une seule personne suffisait à ce poste. Il ne restait que ce jeune garçon et un futur retraité. Grâce aux gains engrangés par l’entreprise, ce jeune garçon fut promu et invité par la suite à un avenir phénoménal. Si ce garçon a réussi sa vie, c’est parce qu’il s’en est donné les moyens. Il n’est pas resté à rien faire. Comprends-tu ?
  • Oui Monsieur.
  • Je viens chercher un exemplaire du quotidien “Tout dé” datant du trois janvier dernier, tu vas arriver à me le trouver ?
  • Bien sûr Monsieur. »

Son exemplaire en poche, le patron de Mark repartit à ses occupations et Mark se remit au travail jusqu’à la fin de sa journée. En sortant de son bureau, Mark refait machinalement les mêmes gestes, prend les mêmes escaliers, dit au revoir aux mêmes personnes, ouvre les mêmes portes et parcours les mêmes rues qu'au matin. Il repense au livre qu'il a lu plus tôt dans la journée. Il imagine tout plaquer, prendre son sac à dos, quelques affaires, et partir loin de là, sans prévenir personne. Il rêve de tout envoyer valser et de recommencer à zéro. Il regarde le ciel dégagé « Demain sera une belle journée ». Mais il est tard déjà, alors Mark va se coucher, car demain il travaille.


Ce matin, le réveil de Mark sonne avant que ce dernier ne soit réveillé. Il se lève dans le noir. Un poids lourd bloque les rayons du soleil. Il ouvre difficilement les yeux. Sans aucun doute, ce camion est celui des éboueurs. Il entame sa journée par son rituel : café, douche, tartine de beurre-confiture, chemise blanche, veste. Mais, ce matin, l’odeur des poubelles prend le dessus sur les croissants chauds. Arrivé au feu rouge, il aperçoit deux personnes, un homme et une femme, avec un sac à dos de voyage et une carte routière entre les mains. L’homme se retourne et voit Mark avancer vers eux. Le voyageur se dirige vers Mark avec l’intention de lui demander quelque chose.

« Hi ! I'm looking for "parc Douchène" ? dit l’inconnu.

  • Euh... aïe ! Euh... Sorry for ... I parle pas anglais. répondit Mark désorienté.
  • Hum ! OK ! No problem... Jeu cherche "parc Douchène" ?
  • Ah ! Vous n’êtes pas du tout sur la bonne voie.
  • Peurdon ?
  • Ce n’est pas la bonne direction pour se rendre au parc, vous devez remonter l’avenue pendant dix minutes à pied et ensuite tourner à droite ou bien prendre le bus B3 et vous arrêter à "République". »

Le voyageur, visiblement anglais, écarquille les yeux, offre un joli sourire, prend son inspiration et dit « Jeu souis totally peurdu ». Mark est pris d’empathie, mais incapable d’indiquer en anglais la route à suivre. Il essaie tant bien que mal de s’expliquer avec des gestes, et quelques mots en français-anglais-allemand, mais en vain. Il finit par abdiquer et s’excuse. La femme arrive à la rescousse :

« Voulez-vous veunir avec nous ? Nous allons voir concerte Arno !

  • Arno ? Un concert d’Arno ? répondit Mark affolé.
  • Oui ! Cet après-midi ! Vous vouloir venir ? dit l’anglais.
  • J’adore Arno, dit Mark. Mais, malheureusement, je travaille. Je ne peux pas, désolé. »

Il repart, tête baissée, déçu d’avoir manqué cet évènement et hésitant toutefois à prendre sa journée de congé pour aller voir son idole. La tête ailleurs, il esquive de peu les déchets organiques non ramassés par un pseudo dresseur de chiens, il manque de se faire renverser en traversant la route et il bouscule une vieille dame apeurée par ce dernier. En passant sous le pont, il voit le chien, peut-être, responsable des excréments évités plus tôt. Il semble tout excité, car il aperçoit au loin deux autres compagnons en liberté. Mark remarque dans le regard de l’animal la déception et la frustration. Il veut aller rejoindre ses camarades, jouer avec eux ou peut-être sentir l’odeur de leur arrière-train. Mais son maître tire abondamment sur la laisse, ne lui laissant aucune chance de s’échapper. Aux portes de la grande avenue, la dernière étape avant son travail, il attend au bord des passages piétons que les véhicules lui autorisent un moment pour aller de l’autre côté. Il se disperse à nouveau dans ses pensées, dans ses doutes. Soudain, une voiture klaxonne et un homme courtois, mais pressé s’écrit : « Bon, tu y vas ? » Les poils de son corps se hérissent. Il a la tête qui tourne. L’homme pressé ajoute : « Alors ? » Il fait donc demi-tour et part hâtivement direction le parc.

Il s’arrête quelques mètres plus loin sur la terrasse d’un bistrot. Mark est stressé, mais heureux de son choix, heureux de voir son artiste préféré. Il a besoin de prendre un café pour se détendre. Il essaie tant bien que mal de boire, mais sa main tremble et il renverse la moitié de sa tasse. Une femme est assise à côté de lui, elle lui propose une cigarette, car elle sent que Mark n’est pas bien. Il refuse sèchement. Elle ne le laisse pas s’en sortir comme cela et engage la conversation :

« Ça va ? dit-elle.

  • Oui, répondit Mark
  • Tu es tout pâle pourtant, ça n’a pas l’air d’aller.
  • Si si, répondit timidement Mark
  • Tu viens boire un café avant d’aller au travail ?
  • Non.
  • Tu n’as pas de travail ?
  • Si, enfin non... enfin si.
  • Tu es en congé ?
  • Non
  • En arrêt maladie ?
  • Non, non, je réfléchis si je vais au travail ou pas.
  • Ah ! C’est pratique d’avoir le choix.
  • Je n’ai pas vraiment le choix.
  • Alors, pourquoi y réfléchir ?
  • Si je ne vais pas au travail, je peux aller voir un concert cet après-midi.
  • Ah d’accord, tu veux prendre une journée sabbatique. Tu as prévenu ton patron ?
  • Non.
  • Tu devrais l’appeler. Tu lui dis que tu ne te sens pas bien, que tu as besoin de repos, de te détendre. Il devrait comprendre, non ?
  • Non.
  • Nous sommes tous des humains, nous avons tous besoin de souffler de temps en temps et je suis persuadé que ton patron serait compréhensible. Aller ! Appelle-le ! Tu veux que je le fasse ? C’est quoi son numéro ?
  • Je peux l’appeler tout seul.
  • Oui pardon, j’ai eu sept enfants alors j’ai tendance à materner tout le monde.
  • Je ne pense pas l’appeler. Je pense partir pour toujours.
  • Tu veux te donner la mort ?
  • Non. Je veux voyager, être libre.
  • C’est un choix. Je pense qu’aujourd’hui nous avons suffisamment de liberté et décider de vivre une vie plus marginale est plus risqué. Enfin, cela reste mon avis.
  • Je veux essayer.
  • Bon courage alors !
  • Merci. »

Mark est essoufflé d’avoir autant discuté avec cette dame, il n’est pas habitué. C’est la première fois qu’il s’arrête boire un café dans un bistrot. Il ressent un certain soulagement d’avoir osé avouer ses objectifs, mais cette rencontre ne lui a pas enlevé son stress. Il redoute toujours la réaction de son patron. Il marche sans but vers le parc et voit sur un mur une publicité du concert d’Arno. L’affiche est à moitié déchirée, on aperçoit tout de même qu’il commence à seize heures. Mark regarde sa montre, il est neuf heures trente. Il est encore temps de retourner au bureau et de demander à partir plus tôt. Peut-être que le patron pourrait comprendre. Au détour d’une rue, Mark tombe nez à nez avec le responsable des relations humaines de la ville, un de ses supérieurs en quelque sorte. Ce dernier le reconnaît et lui dit :

« Vous ne travaillez pas aujourd’hui ?

  • Non, répondit Mark en tremblant des lèvres.
  • Je n’ai pas souvenir d’avoir vu une demande de congé. Vous êtes sûr d’avoir fait les démarches ?
  • Euh... oui.
  • Attendez, je vais regarder dans mes mails.

Il sort son téléphone et vérifie s’il voit sa demande. Mark commence à trembler des jambes.

  • Je ne la vois pas ! Vous n’êtes quand même pas en train de faire l’entreprise buissonnière ?
  • Non, Monsieur.
  • Bon Mark, suivez-moi. Vous n’avez pas le droit d’être ici, s’il vous arrive un accident nous serons responsables et la ville ne peut pas se le permettre. On ne quitte pas son poste pour aller se promener. En tant que salarié vous devez être responsable. Des gens comptent sur vous, des gens vous paient, les habitants de la ville vous paient ! Vous devez travailler ! dit son supérieur d’un ton moralisateur.
  • Oui, pardon, j’ai un peu traîné ce matin. Désolé.
  • Allez, ce n’est pas grave. Vous resterez plus longtemps ce soir. »

Mark suit machinalement son responsable, comme un enfant qui s’est égaré.

« Dîtes-moi Mark, do you speak English ?

  • Non, j’ai un peu de mal avec les langues étrangères.
  • C’est fâcheux ! De nos jours, il faut savoir au moins parler anglais. Vous n’irez pas bien loin dans la vie. Enfin, vous pouvez toujours rester aux archives et trier des papiers, mais j’espère pour vous que vous avez un peu plus d’ambition. »

Mark s’arrête de marcher, le responsable continue.

« Allons Mark ! Nous n’avons pas toute la journée ! »

Mark fait demi-tour à nouveau et s’enfuit en courant. Son supérieur avance de trois pas comme pour essayer de le rattraper, mais c’est trop tard. Il court pendant de longues minutes afin de s’assurer que personne ne pourra le saisir de nouveau. Il se retrouve en plein centre-ville. La foule grouille dans tous les sens. Mark est seul. Il a faim. Il s’arrête, reprend son souffle et tourne sur lui même pour identifier les débits de nourriture. Il revoit les deux chiens du pont se promenant tranquillement sur le trottoir. Ils flânent comme des humains et n’ont aucun maître à leur trousse. Soudain, ils s’arrêtent et s’emparent des beignets installés sur une étagère. Ils s’enfuient juste avant que le gérant ne les attrape. Ce dernier continue de courir après eux pour leur donner une bonne leçon, ce qui amuse Mark. Quand l’épicier revient, Mark s’adresse à lui pour acheter à manger. Il lui demande :

« Vous avez réussi à attraper les chiens ?

  • Ah ça non ! Ces saloperies de chiens errants, on devrait les abattre !
  • Ils ont droit de vivre eux aussi.
  • Ils traînent et ils volent ! C’est pire que les racailles. Moi en attendant, je perds de l’argent chaque jour et tout le monde s’en fout !
  • Oui, vous avez raison. Mais ces pauvres bêtes sont livrées à elle-même.
  • Peu importe ! Moi je vais bientôt être ruiné ! dit furieusement le gérant.
  • Je comprends. De ce fait, je vous achète un beignet ainsi que les deux beignets que vous ont volés les chiens.
  • C’est vous le patron ! »

Mark se sent soulagé de son action, il prend ça comme une forme de remerciement. Une gratitude pour avoir montré le chemin de la liberté. Mark sourit enfin. Il se détend et flâne à travers la ville, le cœur léger. Son téléphone sonne. Il s’arrête net. Il pâlit et le sort de sa poche. Il le regarde, mais ne décroche pas. Il est figé, bloqué, il ne sait pas quoi faire. Quand le téléphone s’arrête, on peut distinguer sur l’écran "10 h 30 : appel manqué de Patron". Cela devait arriver et c’est arrivé, logiquement. Quelques secondes plus tard, il reçoit un message vocal de la même personne.

Mark ? Tu n’es pas à ton poste. Où es-tu ? J’ai vu le RH et il m’a dit que tu t’étais enfui. Est-ce que tu es devenu fou ? Merci de me donner des nouvelles au plus vite.

Mark supprime immédiatement le message. Il ne pourra pas faire le mort pendant longtemps. Un jour viendra où il devra décrocher et s’expliquer. Ce moment pèse sur ses épaules et il devra se débarrasser de ce poids pour vivre tranquille et profiter ainsi de son concert. Il plonge de nouveau dans ses pensées et le monde s’agite autour de son corps sans mouvement.

« Pommes de terre, en voici en voilà ! De charlotte à Monalisa, achetez en plein, ça ne périme pas ! »

D’où vient cette rime enchantée qui ramena Mark à la vie ? Du marché évidemment ! Non loin du centre, un marché propose un éventail de fruits, de légumes, de fleurs, d’habits, de viandes, de fèves, de tout ce qui est mangeable et bon pour la santé. Mark décide d’y faire un tour. Il a souvent entendu parler de producteurs locaux vendant les aliments qu’ils cultivent ou les objets qu’ils créent. Mais jamais il n’avait mis les pieds dans ce supermarché mobile. Visiblement, les gens aiment, car ils sont nombreux à arpenter les rayons. Derrière chaque étalage, il y a une personne qui te regarde, qui te sourit et qui parfois te parle. De plus, tu connais exactement le montant de tes courses comme le scan-achat. De même, tu peux avoir des conseils personnalisés. Certes, la plupart ne prennent pas la carte bleue, mais c’est quand même plus agréable de faire ses provisions au soleil.

« Mon p’tit monsieur ? Voulez-vous goûter nos bonnes cerises ? C’est la saison !

  • Avec plaisir, répondit Mark.
  • Elles sont au prix de 7 € le kilo, de la qualité, du goût, à un prix largement abordable.
  • Un kilo c’est beaucoup, dit Mark en riant.
  • Vous pourrez en faire profiter votre famille et vos amis. Aller ! Prenez en une poignée et j’arrondirai.
  • Cela aurait été avec plaisir, mais je n’ai pas de monnaie sur moi.
  • Ah, mon p’tit monsieur, faut vite aller chercher du travail ! dit le vendeur en plaisantant.
  • Ah non ! répondit Mark sèchement. Le travail, c’est fini ! J’abandonne.
  • Oh ! Vous savez à votre âge on l’abandonne vite, mais on n’y revient au galop.
  • Moi j’arrête définitivement.
  • Et comment allez-vous manger ?
  • Je trouverai des personnes qui m’aident.
  • Ne vous transformez pas en parasite de la société. Il y a des tas de gens comme nous qui se lèvent tous les jours à l’aube pour essayer de gagner notre pain et l’on se fait voler pour soi-disant répartir la richesse à ceux qui dorment toute la journée.
  • Je ne compte pas dormir toute la journée. Je veux profiter de la vie et mon travail m’en empêche. Alors je m’en débarrasse.
  • Si la vie était aussi facile, tout le monde le ferait. Mais la réalité nous rattrape vite. Vous aurez besoin d’argent pour manger, pour votre loyer, pour aller au cinéma ou au restau. Pour faire de petits cadeaux à votre dame, il faut y penser à sa p’tite dame ! Et à ses enfants aussi. Ah ! Être adulte c’est beaucoup de responsabilités.
  • Alors je n’aurai ni femme ni enfant. Je n’aime pas le cinéma et les restaurants ne m’attirent guère.
  • Ah quelle fougue ! Profitez-en ! Bientôt, vous allez rentrer chez vous, vous serez seul et vous rêverez d’avoir une personne avec qui finir votre vie. Il n’y a pas de mode de vie standard, mais si tout le monde s’accorde à suivre la même voie c’est parce qu’elle nous rend heureux.
  • C’est triste.
  • La vie n’est pas toute rose. Elle est bardée de sacrifices et nos choix nous permettent de rendre ces sacrifices moins durs à supporter. Alors, vous les prenez mes cerises ?
  • Non merci. »

Mark s’assoit sur un banc. Il est seul et contemple les gens marcher. Il essaie de deviner quelle vie se dessine derrière ces centaines de visages qui défilent. Lui, a-t-il un travail ? L’aime-t-il ? Elle, a-t-elle une famille ? L’aime-t-elle ? Ce gamin sait-il ce qui l’attend dans dix ans ? Ce chien accepte-t-il de subir sa laisse quand il se promène pour ensuite lui permettre d’être plus heureux ? L’est-il vraiment ? Mark replonge dans ses pensées. Il se déconnecte complètement de la réalité. Le monde s’agite autour de lui, mais il reste inerte. Un gros nuage gris vient effacer le soleil radieux. Il lève les yeux au ciel tentant de deviner si la pluie tombera aujourd’hui. Bien heureusement, ce nuage s’envole aussi vite qu’il est arrivé et les rayons jaillissent jusqu’à l’en éblouir.

« Bonjour Monsieur ! s’exclame un homme.

  • Bonjour, répondit poliment, mais timidement Mark.
  • Je suis nouveau dans cette ville et je cherche des habitants pour m’informer sur les animations qui pourraient occuper ma journée ?
  • Désolé, je ne connais pas tellement cette ville. Euh... je sais qu’il y a un concert d’Arno au parc Duchêne cet après-midi, à seize heures.
  • Je ne suis pas trop fan de musique, mais pourquoi pas ? Vous y allez vous ?
  • Oui.
  • Excellent ! Vous êtes en vacances aussi ?
  • Non ! J’ai... disons... séché ma journée de travail aujourd’hui.
  • Excellent ça ! Vous voulez goûter à la liberté le temps d’une journée ?
  • Non, le temps d’une vie !
  • Génial ! C’est génial ! Je vous souhaite d’y arriver. Ô comme je vous souhaite d’y arriver. Moi, je goûte à la liberté depuis deux mois. J’ai profité d’être licencié économiquement de ma boîte pour me promener un peu avant de reprendre. Et c’est fantastique ! Tu vis ta vie au jour le jour pour de vrai ! Déjà, tu n’as plus de réveil le matin : tu gagnes quarante pour cent de bonheur. Ensuite, tu n’as rien de prévu dans la journée : dix pour cent de bonheur. Tu peux très bien faire deux cents kilomètres et rester deux jours ou trois jours pour visiter une ville ou des amis : soixante pour cent de bonheur. Tu as le temps de t’intéresser aux choses et aux gens : trente-sept pour cent de bonheur. J’en suis à combien là ?
  • Plus de cent pour cent en tout cas, dit Mark en riant.
  • Et bien voilà l’exemple même de la liberté ! Plus besoin de compter. On s’en fout du rapport de fin trimestre ! On s’en tape de la réunion hebdo ! J’emmerde mon patron, cria l’homme devenu complètement fou. »

Les gens dans la rue se retournent, le regardent de travers. Mark se sent gêné et amusé.

« Aller ! Dis-le ! Tu vas voir ça fait du bien ! J’emmerde mon patron !

  • Euh non je ne peux pas dire ça. dit Mark en souriant bêtement.
  • Ah ! Ce n’est pas grave ! Un jour ça viendra, j’en suis certain. Passons ! Où peut-on déguster une bonne bière ?
  • À cette heure ?
  • Il n’y a pas d’heures pour la dégustation !
  • Suivez-moi ! dit Mark enjoué »

Les deux compères se retrouvent dans un pub charmant du huitième arrondissement. Ils prennent deux pintes de la meilleure bière et trinquent comme des amis d’enfance. Cet inconnu, que Mark ne sait pas encore prénommer, lui raconte ses folles aventures depuis deux mois. Mark ne cesse de saliver devant tant d’anecdotes. Il remarque tout de même une note de folie chez son ami et se demande s’il pourra, autant que lui, braver le danger. Ce n’est pas le moment de se poser ce genre de question, il écoute et profite du bon temps.

« Merde ! Faut pas que je traîne, j’ai mon concert.

  • T’as encore le temps d’en boire une dernière ?
  • Ça aurait été avec plaisir vraiment, mais je dois absolument y aller.
  • Ah ! Je comprends ! Aller ! File, c’est ma tournée.
  • Merci, c’est gentil ! »

Mark quitte le bar en vitesse et s’élance à grandes enjambées vers le parc. Il n’est pas en retard, mais il a perdu toute notion du temps. La distance entre ses pas est semblable à un géant. Son cœur bat plus vite que nécessaire. Son souffle retentit comme une locomotive à vapeur. Il traverse la rue sans regarder. Il bouscule les gens agglutinés. Il s’arrête, essaie de respirer et repart sans en avoir eu le temps. Il est stoppé par les travaux sur l’avenue menant au parc. Il a la tête qui tourne, son cœur frappe dans sa poitrine comme un flic tapant de bon matin à la porte d’un criminel. Il n’arrive plus à respirer. Il pose ses mains sur ses genoux et bascule sa tête de haut en bas pour emmagasiner le plus d’air possible. Il finit par revenir à lui et se dirige tranquillement vers le parc. Ce dernier est grand, mais à première vue il ne voit ni concert, ni musique, ni quelconque évènement. Il reste là, les bras ballants. Il ne sait plus quoi faire. Un jogger arrive et Mark l’intercepte.

« Savez-vous s’il y a un concert ici ?

  • Je ne suis pas au courant, dit le jogger. Je viens de faire le tour du parc et je n’ai rien vu.
  • Ne devait-il pas y avoir un concert d’Arno ?
  • Je ne connais pas, désolé. Mais ce n’est pas dans ce parc en tout cas. »

Saloperies d’anglais ! Ils ont donné une fausse piste. Pourtant l’affiche montrait bien un concert d’Arno à seize heures, mais le lieu n’était pas indiqué du moins il était arraché. Mark est perdu, il tourne en rond à la recherche d’une âme voulant bien le guider. Il demande à la mère promenant son enfant, à l’homme d’affaires pressé d’être à son rendez-vous, aux amoureux badaudant main dans la main, à la grand-mère assise sur son banc, mais personne ne l’aide. Il est bientôt seize heures et Mark désespère. Une journée de travail manquée et pour rien. Son téléphone vibre, c’est un message de son patron.

Où es-tu ? Rappelle-moi au plus vite!

Mark hésite à l’appeler. Il a son téléphone à la main, prêt à appuyer sur la touche en forme de combiné. Mais il ne sait pas quoi dire. S’excuser ? Dire qu’il a perdu la tête ? Dire qu’il est malade ? « Je croyais que nous étions samedi ? » Peu crédible. Dans tous les cas, il va passer un sale quart d’heure et rester assis au travail de longues heures à lire des bouquins sera impossible désormais. Peut-être faut-il mieux se rendre au bureau en personne et être honnête. Faute avouée, à moitié pardonnée. Il lève la tête au ciel en attendant un signe et quand il l’abaisse de nouveau il croise les deux chiens voleur de beignet qui lui en doivent deux désormais. Les deux compères s’arrêtent dans leur course et regardent Mark. Tous trois restent immobiles. Ils se regardent les yeux dans les yeux. Puis les deux animaux repartent aussi vite que la musique. Mark tente de les rattraper, mais bute sur une pierre. Il s’écrase au sol et son téléphone tombe dans une bouche d’égout. Il reçoit de nouveau un appel de son patron, mais le téléphone est trop loin et la plaque est trop lourde pour être soulevée. Un des ouvriers du chantier l’a vu et décide d’utiliser ses outils pour l’aider. À plusieurs, ils finissent par la hisser et par récupérer le téléphone, mais une fois atterri dans sa main la sonnerie se coupe. Il remercie les travailleurs et l’un d’eux lui demande :

« Votre sonnerie de téléphone, c’est une musique d’Arno n’est-ce pas ?

  • Oui, tout à fait.
  • Ah cool ! J’aime bien ce mec. D’ailleurs si vous avez du temps il organise un concert aujourd’hui.
  • Oui ! Oui, je sais ! Mais ça devait être au parc et je ne vois rien.
  • Non ! Ce n’est pas au parc, c’est dans une toute petite salle : le "partout zen".
  • Où est-ce ?
  • À dix minutes à pied d’ici. »

Mark repart donc pour une course folle. Rien n’est perdu. Il peut manquer les dix premières minutes, ce n’est pas grave, mais il faut qu’il aille à ce concert. Son allure ressemble aux amants essayant de rattraper leur amour qui s’en va. Il bondit par-dessus les bancs, esquive les livreurs, prend des raccourcis dans les petites ruelles, escalade les poubelles, saute des murs d’un étage de haut et se retrouve finalement devant la salle de concert. À peine le temps de respirer que son téléphone sonne de nouveau. Il décroche aussitôt alors même qu’il ne peut décrocher un mot.

« Ah Mark ! J’arrive enfin à vous avoir ! Mais que faites-vous ?

  • A... A... Allo, répondit Mark essoufflé.
  • Vous allez bien ? Mark ? Pourquoi n’êtes-vous pas au travail ?
  • Att... Att... Attendez, continua Mark en souffrance.
  • Enfin ! Je ne vous entends pas ! Vous êtes où ?
  • Laissez-moi le temps de respirer.
  • De respirer ? C’est une blague ? Je vous attends depuis ce matin déjà. Vous deviez être là à neuf heures trente. Le responsable RH m’a dit qu’il vous avait vu et que vous vous étiez enfuis lâchement. Vous devez revenir au bureau impérativement sous peine de licenciement.
  • Vous ne pouvez pas me licencier pour cela.
  • Vous rigolez, j’espère ? Abandon de poste ! Je peux vous licencier et vous n’aurez aucune indemnité. Rien du tout ! Pas un centime.
  • Je voulais simplement aller voir un concert cet après-midi. Je reviens demain.
  • Mais dans quel monde vivez-vous ? Vous pensez que l’on peut quitter son emploi comme ça, pour une journée, et revenir ensuite le lendemain. Ce n’est pas un bordel ici ! Vous avez des responsabilités et je vous rappelle que c’est la ville qui vous paie. L’État ! Le peuple ! Vous vous devez d’être exemplaires.
  • Le pays ne va pas sombrer dans la folie parce que les archives ont été à l’abandon une journée.
  • J’espère !
  • Demain, je viendrai plus tôt et je partirai plus tard pour récupérer mes heures.
  • Hors de question ! hurla le patron dans une colère noire. Vous ramenez vos fesses dès maintenant. Le travail ce n’est pas le loisir.
  • J’ai besoin d’une pause.
  • Je parle chinois ? Est-ce que je parle chinois ? Ah ! Vous ne comprenez pas le chinois ? Pardon Monsieur, alors je vais essayer de parler dans votre langue et peut-être que vous allez m’écouter. Au bureau ! Et tout de suite !
  • Non, je crois que c’est vous qui allez m’écouter. Ce travail ressemble en tout point à votre image : merdique ! Je le déteste, je vous déteste. Vous êtes néfaste pour ma vie et je ne remettrai plus jamais les pieds dans cet endroit tant que vous y serez encore. Vous êtes tout ce que je déteste sur cette Terre, un trop-plein d’ambition qui a pour but d’écraser les autres pour affirmer sa supériorité. Vous pouvez me licencier, peu m’importe. Aujourd’hui, j’ai décidé de vivre et personne ne pourra m’en empêcher. Encore moins une espèce dans votre genre.
  • C’est ce qu’on va voir... »

Mark n’attend pas la fin de sa phrase pour raccrocher. Il a tenu tête à son patron. Bien que ça lui coûte son travail, il a décidé pour une fois d’être acteur de sa vie. Il se dirige sereinement vers son chanteur préféré. Les premières notes le bercent. Il sent son corps décollé. La mélodie le transporte de droite à gauche. Il s’essaie même à pousser la chansonnette sur un rythme qu’il connaît par cœur. Il vit son rêve et goûte pour la première fois à la liberté. Il ne pense plus à demain. Il pense à maintenant. Tout à coup, une main se pose sur son épaule et le surprend. Il se retourne et entend une voix : « Hi ! Vous n’êtes plus travail ? ». C’est l’Anglaise qu’il a croisée ce matin. Elle lui offre un magnifique sourire qu’il reçoit et redonne sans pouvoir se contrôler. Ses yeux s’écarquillent. Le bonheur l’envahit comme s’il venait de retrouver quelqu’un de cher. La musique s’arrête, la foule applaudit. Le chanteur demande à son public s’il est toujours en forme. Mark lève les bras en l’air et cri : « J’emmerde mon patron ! » L’Anglaise répète sans vraiment savoir ce que cela veut dire et tous deux se retournent vers le groupe pour assister au spectacle.

À la fin du concert, il se retrouve seul avec l’Anglaise qui a perdu son compagnon. Ils se mettent sur la pointe des pieds, lèvent les mains et les agitent pour indiquer leur présence. Une fois retrouvés, ils s’enlacent tout les trois comme des amis de longue date. Ils tentent de communiquer et d’exprimer leur joie face à l’évènement qu’ils viennent de vivre. L’anglais est ravi de voir Mark et lui demande pourquoi il a finalement réussi à venir. Mark répond paisiblement : « J’ai finalement emmerdé mon patron. ». N’ayant toujours pas compris, l’Anglaise lui demande d’expliquer. Quand il finit par démontrer son action, les deux Anglais sourient et le félicitent. Il raconte également comment il s’est trompé d’endroit à cause de leur mauvaise prononciation. Ils éclatent de rire en s’excusant et décident d’aller boire un verre ensemble pour se faire pardonner et pour se remettre de leurs émotions. Ils passent de longueurs heures à se raconter leurs histoires, leurs aventures, même si celles de Mark ne sont pas nombreuses il insiste beaucoup sur les détails et les réflexions qu’elles lui ont apportés. Les rayons du soleil se font de plus en plus rares, la population quitte peu à peu son travail pour rejoindre son foyer. Mark propose spontanément d’héberger les Anglais chez lui ce soir. Ils acceptent avec plaisir. Leur soirée continue autour d’un repas typique de la région. Le lendemain matin, Mark les conduit au bus qui poursuivra leur voyage. Puis il retourne à son appartement, il s’assoit sur son canapé, le silence règne, Mark s’ennuie. Il pense, réfléchit, s’imagine ce qu’il peut faire de sa vie maintenant qu’il est libre. Son téléphone sonne, le propriétaire de son logement souhaite lui parler.

« Bonjour Mark.

  • Bonjour.
  • Votre patron m’a contacté, il m’a dit que vous étiez détestable et arrogant avec lui. Que se passe-t-il ?
  • J’ai décidé d’arrêter de travailler.
  • Mark, ce n’est pas possible. Vous devez continuer à aller au travail. Vous ne pouvez pas rester chez vous à ne rien faire. Vous devez travailler. Je vous demande d’y réfléchir et d’y retourner dès demain.
  • Hors de question ! J’ai pris ma décision.
  • Dans ce cas Mark, je vous demande de quitter votre appartement. Ce dernier est réservé à des gens responsables.
  • Vous ne pouvez pas me virer.
  • Vous ne vous rendez pas compte de l’impact de votre action. Je vous ordonne de quitter les lieux !
  • Vous savez quoi ? Je n’en ai plus rien à faire de votre appartement. Je vous le rends et avec tous mes meubles, toutes mes affaires, je vous laisse mes livres, mes vêtements, et même mon dernier paquet de pâtes. Votre idéologie m’écoeure. Vous êtes semblable à ce pseudo patron qui se croit bien meilleur que tout le monde. Semblable à tous ces gens croyant qu’il n’y a qu’un seul mode de vie : celui du travail, de l’esclavage, de la manipulation et de l’ambition égoïste. Je vous laisse, ma vie m’attend. »

Mark raccroche. Il se lève, prend son sac et y enfile quelques affaires. Il s’habille, met de bonnes chaussures, décroche son poster d’Arno. Il pose les clés de son appartement sur la table de salon et écrit sur un bout de papier « Servez-vous ! » Il le colle sur la porte d’entrée et laisse cette dernière ouverte avant de partir. Il sort de son immeuble et sent de nouveau l’odeur des croissants chauds. Cette fois, il ne se dirige pas vers la ruelle habituelle, il prend le chemin inverse et sautille comme un enfant. Il dit « Bonjour ! » aux passants. Il s’assoit sur un banc pour discuter avec des gens. Il parle anglais, allemand, turc. Il arrose les plantes qui s’étouffent dans la rue. Il entame une partie de football endiablée avec des adolescents. Il rencontre des habitants qui parlent de leurs malheurs, de leurs bonheurs, de ce qu’ils ont fait aujourd’hui ou de ce qu’ils vont faire demain. Il discute avec des tagueurs qui enjolivent les murs de la ville puis avec les employés communaux qui repeignent, dans le but de laisser de la place aux autres. Il voit des commerçants vantant les mérites de leurs produits, des statuts vieille d’un millénaire, des bénévoles faisant la promotion de leur association, des parcs envahis d’arbres, des rêveurs attendant que le cheval sur lequel ils ont misés gagne la course, des bâtiments immenses plus solides que tout, des cyclistes cheveux au vent, des fleurs apportant de la couleur, des motards confortablement assis sur leur monture, des dessins décorant le sol, des touristes heureux de découvrir les délices architecturaux, des sculptures minutieuses, des pères s’amusant avec leur enfant, des mères bichonnant leur poupon, des grands-parents offrant monts et merveilles à leur descendance, des maisons au jardin étonnant, des skaters risquant leurs genoux pour des sensations fortes, des rues pavées nous plongeant dans une époque ancienne, des adultes excités par leur nouvel emploi, des fontaines perpétuelles, des vieux jeunes, des faibles forts, des soudeurs soudés, des tatoueurs tatoués, des serveurs au service, des portiers postés, des postiers porteurs de bonnes nouvelles, des libraires libres, des livreurs délivrés et des amoureux amoureux. Mark aperçoit l’horizon, un paysage qui n’en finit plus. En deux jours, il a tout perdu et tout gagné. Il est à l’aube d’une nouvelle vie. Il repense à toutes les choses qu’il a vues, les rencontres qu’il a faites. Il s’est plus enrichi ces derniers jours que dans toute sa vie. Il avance droit devant, motivé, prêt à tout, et en regardant derrière lui, il aperçoit le panneau indiquant la fin de sa ville et l’entrée d’une nouvelle.