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La Joyeuse Caroline

Maxime Mathieu
Maxime Mathieu

Trois amies, trois filles, si différentes et pourtant si proche. Assises en terrasse, un verre à la main, parlant de la pluie et du beau temps mais cette fois la pluie tombe malgré le beau temps et elles s'embarquent dans un jeu sans savoir qu'elles jouent.

21 minutes

Il fait doux en cette fin d’hiver, les terrasses sont pleines, mais les chaufferettes sont encore indispensables. Ce dimanche est un jour parfait pour une promenade en famille, il est aussi parfait pour faire perdurer les rencontres impromptus des amoureux d’un soir. Caroline se prépare à rejoindre ses deux meilleures amies pour aller profiter d’un temps radieux qui éblouie ceux qui ont pensé au bonnet plutôt qu’aux lunettes de soleil. Ces trois amies ont une particularité assez incroyable, elles sont nées quasiment en même temps, à un jour d’écart. Caroline, trente ans, célibataire endurcie, est née le premier avril. Pauline, trente ans, célibataire par choix, est née le deux avril. Et enfin Camille, mariée, deux enfants est née le trois avril de la même année.

C’est « aux fraisiers » qu’elles se retrouvent, un bar d’une renommé mondiale, selon son propriétaire. Le seul endroit où l’on peut trouver tous les cocktails à la fraise qui existent, le barman se vante même d’en créer quand ses jours d’inspirations ne restent pas au fond de sa couette. « C’est que du marketing, s’exclama Caroline. Je vais prendre une pinte de votre meilleure bière. » Pauline suit, mais Camille préfère rester saine de corps et prendra seulement un soda “light” car elle tient à sa ligne. Ce qui fit bien rire ses partenaires.

« Tu sais qu’il y a plus de sucre dans ton verre que dans nos deux bières réunies ? dit Pauline.

  • Il n’y a pas de sucre, c’est light ! répond sèchement Camille »

Le sujet semble sensible alors les deux compères se retinrent de rire pour éviter de fâcher Camille, elle pourrait claquer la porte.

Chacune d’entres elles, tour après tour raconte sa vie, son week-end, sa semaine, aussi routinière qu’elle soit. Pauline est la “fêtard” du groupe. Elle travaille comme assistante dans un cabinet d’expert comptable. Elle ne comprend rien aux chiffres, mais ça ne l’inquiète guère. Elle voit son travail comme une source de revenus et ne s’intéresse pas le moins du monde à son environnement. Ses collègues sont ennuyeux à mourir et ses journées ne sont qu’une attente interminable avant de retrouver ses amis accoudés à un comptoir ou bien confortablement assis en terrasse d’un café. Elle a réussi à obtenir un stock d’ami assez large et diversifié pour qu’aucun soir elle puisse rester à se morfondre chez elle. Même couchée à six heures du matin le samedi soir, elle est toujours opérationnelle pour un petit verre le dimanche. Rien ne l’arrête et l’accoutumance à l’alcool lui permet une endurance à toutes épreuves. Pauline est incroyablement belle, ses jambes sont longues et fines. Elle les habille toujours de collant sexy et d’une jupe laissant peu d’imagination. Son corps est lisse et sa peau n’a aucun défaut. Sa poitrine généreuse est toujours décorée d’un décolleté attrayant qui ne laisse personne indifférent. Elle a un charme envoutant qui supprime toute trace de vulgarité. Ses cheveux sont d’un blond soyeux et se déposent de manière insolente sur ses épaules très souvent dévêtus. Son visage est une expression concrète de la beauté universelle. Personne ne la jamais niée, cette fille est somptueuse et ce n’est pas subjectif. Cette beauté, elle en a conscience et elle joue beaucoup avec, beaucoup trop, selon ses amis. Elle peut séduire absolument tout le monde et personne ne lui a jamais résisté. C’est une fille dotée d’un romantisme du vingt-et-unième siècle, elle compte finir sa vie avec un homme qu’elle aimera de toutes ses forces, mais pour le moment elle « profite de la vie » comme elle le dit si bien. Elle rentre rarement seule chez elle et se vante d’avoir couché avec la moitié de la ville. Au fur et à mesure que le temps passe, cette blague devient de plus en plus sérieuse.

Camille est l’exacte opposée de Pauline. Non pas qu’elle soit moche et repoussante, disons qu’elle a un style commun. Camille n’a jamais changé, déjà depuis le lycée elle rêvait de trouver le prince charmant, celui qui la porterait dans ses bras pour l’emmener devant l’autel. Ce qui fût chose faite. Son mari est loin d’être un prince charmant, mais il est assez fou pour l’avoir épousée à l’âge de vingt-deux ans puis de l’avoir mise en cloque moins d’un an après. À trente ans, Camille est une femme épanouie, mère de deux enfants elle passe son temps a s’occuper de ses trois enfants. Elle fait à manger, range le linge qui traîne, nettoie son appartement chaque jour. Elle s’occupe de tout et dirige sa maison comme une femme des années soixante. Elle travaille a mi-temps comme vendeuse dans un magasin pour bébé mais c’est une façon pour elle d’occuper ses journées car son mari est ingénieur pour une société d’informatique, ce qui lui permet de combler toutes les dépenses de sa famille. Quiconque n’oserais imaginer comment cette famille occupe ses soirées de peur de voir à quel point la vie de Camille est triste. Ses occupations sont les tâches ménagères, les courses et son régime car Camille tient à garder la ligne surtout après deux grossesses. Elle ne boit pas d’alcool, compte le nombre de carré de chocolat qu’elle peut manger par semaine, cuisine tous ses plats et pratique intensément la course à pied … dans son appartement. Il ne vaut mieux pas trop la côtoyer avant l’été, période intense où son seul objectif est de rentrer dans son maillot de bain. Tous ces efforts, Camille, les fait pour elle-même. Son mari n’est pas attentif à son poids, lui est amoureux d’elle et rien ne lui fera changer d’avis. À chaque fois qu’elle s’autorise une petite sortie avec ses amies c’est toute une expédition. Elle prépare le goûter des enfants et prépare les activités de la journée pour éviter que son mari soit débordé. Quand les filles se donnent rendez-vous, il faut toujours que ça soit prévu deux jours avant.

Caroline est difficile à cerner et mystérieuse. Elle est enthousiaste et toujours de bonne humeur. Elle aime tout le monde, elle ne déteste personne. Elle est toujours celle qui se taira pour éviter une engueulade. Considérée comme timide par sa famille, ses amis tendent à dire le contraire. Une fois lancée on ne l’arrête plus et tout le monde garde en mémoire cette soirée où elle a tellement fait le show que les barmans l’ont finalement laissé monter sur le bar et distribuer des shooters en transvasant l’alcool de sa bouche à celles de ceux qui étaient assez alcoolisés pour ne pas se rendre compte du caractère non-hygiénique de leur action. Trois ans après elle croise encore des gens qui se souviennent de cette soirée et la remercie chaudement pour leur avoir rendu cette nuit inoubliable. Caroline marche en dehors des clous, elle est persuadée qu’il est toujours possible de mieux faire et est sans cesse en train de réfléchir à des solutions différentes sur des questions variées : comment faire pour laisser le temps aux gens d’être heureux ? Pourquoi les problèmes de circulation ne sont toujours pas résolus ? Comment protéger la population sans la surveiller ? Son cerveau est toujours en surchauffe, ce qui peut parfois la rendre muette pendant de longues minutes rendant les gens autour d’elle perplexes. Sa vie amoureuse est plate depuis environs trente ans et il n’y a qu’elle que ça ne dérange pas. À chaque réception familiale, tout le monde attend avec impatience de voir l’heureux élu de son coeur, mais leur déception est récurrente et ils savent très bien l’exprimer. Ses parents lui ont répétés, pendant toute son adolescence, qu’à force de ne pas ramener de mec à la maison les gens allaient penser qu’elle était lesbienne, ce qui n’est pas un problème en surface, mais qui en est un au fond. Ce qu’elle finit par croire. Jusqu’à cette soirée où cette aventure d’une nuit s’est transformée en cauchemar pour elle. Un traumatisme qui lui a fait garder l’abstinence pendant cinq ans. Mais au moins maintenant elle le sait, elle n’est pas lesbienne. Ses amis sont différents et plus compréhensif, du moins ils l’étaient jusqu’à ses trente ans. Aujourd’hui elle redoute cette fameuse question qui tombe à chaque repas : « T’en es où de ta vie amoureuse ? ». Cette question s’enchaîne généralement par de petites attentions comme « Tu n’as qu’à te faire plus belle », « Tu n’as qu’à être plus sérieuse » ou encore le fameux « Ta vie est en désordre alors ce n’est pas étonnant qu’un mec ne veuille pas de toi ». Par habitude elle a réussi à faire abstraction de ces moments, elle s’en sert même pour reconnaître les amis avec qui elle doit cesser toutes discussions, voire toutes relations. Elle n’a jamais eu l’envie, même une seule seconde, de s’imaginer en couple avec un homme. Mais la pression sociale exercée par son entourage lui fait croire qu’elle ne pourra pas y échapper et qu’une alternative à ce genre de vie est complètement inimaginable.

Après avoir raconté en long et en large une vie quasiment identique à celle du mois dernier, les trois filles restèrent longtemps en silence à contempler les passants et s’imaginant qu’eux avaient peut-être une vie intéressante. Pauline fit un bond comme si elle avait été piquée par une guêpe.

« Je vous propose une petite activité pour nous distraire, j’aime bien raconter ma vie, mais je ne connais presque pas la vôtre. Et si nous en discutions plus profondément ? Je ne parle pas de votre travail, de vos amis ou encore de vos gosses. Parlons de notre intimité, de nos petits secrets. Moi par exemple, j’ai déjà couché avec mon cousin. Je ne savais pas qu'il l'était, à l’époque, mais quand je l’ai découvert plus tard, ça m’a fait un choc.

  • Je trouve ça répugnant, dit Camille.
  • Moi ça n’est pas passé loin, dit Caroline. Je savais que c’était mon cousin. Nous avions douze ans à peine et nous commencions à appréhender notre corps. On a failli passer à l’acte, mais de nous voir à poil nous a traumatisé et plus jamais nous avons retenté l’expérience.
  • Alors vous êtes allez jusqu’au bout ? interrogea Pauline
  • Non ! Impossible ! Trop dégueulasse répondit Caroline en mimant un haut-le-coeur.
  • Avoue que c’est quand même étrange de se retrouver nu en compagnie de son cousin, je ne suis pas étonné que tu sois si dérangé émotionnellement. Lâcha Camille d’un ton froid.
  • Je n’ai jamais couché avec le meilleur ami de mon mari MOI, s’exclama Caroline
  • Faux ! Entièrement faux ! Tu ne fais que relayer de vieilles rumeurs qui n’ont jamais été vérifiées. Rétorqua Camille.
  • Moi je l’ai déjà fait, dit Pauline.
  • Pardon ? S’étonnèrent Caroline et Camille en choeur.
  • Certes, ce mariage était un faux et n’avait pour but que d’obtenir à mon “mari” des papiers pour venir travailler dans ma boite. Mais cela m’a valu une très belle prime et une nuit de noces incroyable … pas avec le-dit mari évidemment.
  • Tu ne penses vraiment qu’au sexe, se répugna Camille.
  • J’aime les plaisirs simples de la vie, répondit Pauline par habitude.
  • Moi je n’ai jamais été amoureuse, dit Caroline »

Cette phrase laissa un vide incommensurable. Les deux filles sont restées bouche-bée, comme si une terrible nouvelle venait d’être annoncée. Elles se regardèrent entre elles, puis regardèrent Caroline, puis se regardèrent de nouveau. Il fallait que quelqu’un dise quelque chose, mais qui allait commencer ? Caroline, elle, n’avait pas l’air troublée, elle annonçait ça comme si elle annonçait qu’elle avait ses menstruations.

Pauline finit par prendre la parole et annonça « Mais enfin Caro, tu te rends compte qu’à trente ans tu n’as toujours pas été amoureuse ? Qu’est-ce qui se passe dans ta vie ? Tu ne rencontres jamais personne ?

  • Si, je rencontre des mecs assez régulièrement. Pas tous les soirs comme toi évidemment, mais je dirais une fois tous les deux ans.
  • Mais qu’est-ce que tu leur fais pour qu’ils ne veuillent pas de toi ? demanda Camille
  • C’est moi qui ne veux pas d’eux ! Répondit sèchement Caroline. Je n’ai pas envie d’être en couple, je n’ai pas envie d’être amoureuse. Je trouve que les couples sont trop niais.
  • Alors ça ! C’est bien une réplique de femmes célibataires, dit en rigolant Camille
  • J’ai déjà été en couple, quelque fois, et l’idée même de se retrouver en tête-à-tête chez lui ou chez moi me faisait pousser des boutons. J’ai toujours trouvé mes ex intéressants mais ça n’a toujours duré que deux ou trois jours. Il arrive toujours un moment, d’une seconde à l’autre, d’une phrase ou d’un mot à un autre où je me dis “mais qu’est-ce que je fous ici avec ce con ?”.
  • Et tu crois être la seule au monde à te poser cette question ? Dit Pauline
  • Moi j’insulte mon mari de con environ une fois par semaine, ajouta Camille.
  • Il existe énormément de gens intéressants sur cette planète. Malheureusement et comme tous les êtres humains, nous ne sommes pas éternels et, selon le temps que l’on a à passer sur cette Terre c’est très difficile d’être intéressant tout le temps. C’est vrai ! On passe la moitié de notre temps à travailler et le reste on le partage entre bouffer, dormir et baiser. À quel moment tu crois que j’ai le temps de faire quelque chose d’intéressant ? Les seules personnes ayant la chance d’être intéressant sont ceux qui font un travail intéressant, si l’on arrive à imaginer qu’un travail intéressant existe. Je passe beaucoup de temps à draguer des mecs qui me racontent tous la même chose : “Je suis cadre dans le pôle marketing, informatique, communication et je passe d’autres termes techniques qui ne veulent rien dire.” Moi je m’en fous qu’il soit architecte, médecin ou gérant d’une entreprise à vingt millions de CA comme ils disent. Moi je veux seulement qu’il me fasse jouir. C’est le côté intéressant que je recherche chez l’homme. Et je pense que chaque femme recherche un côté particulier chez l’homme, si l’on essaie de rechercher un tout, une forme d’espèce hautement intéressant dans tous les domaines, on finira par tomber sur un robot et là bonjour l’entretien.
  • Et bien Pauline, pour une fois je suis absolument d’accord avec toi, dit Camille. Mon mari n’est pas très cultivé, il essaie tant bien que mal de s’occuper des enfants, mais il ne faut pas que je sois trop loin, ses goûts musicaux sont à chier et il n’aime pas lire. En revanche, il m’aime. Il m’aime de tout son coeur et je trouve ça très réconfortant. J’ai une confiance totale en son amour et je sais que jamais rien ni personne ne pourra l’altérer. Et moi ça me va, je n’écoute pas de musique avec lui, je ne parle pas de bouquins que je lis, mais ensemble nous nous aimons et c’est la chose la plus merveilleuse au monde.
  • Je ne suis pas sûr que vous ayez bien compris le sens de ma phrase. Évidemment que tout le monde a des défauts et que personne ne peut exceller dans tous les domaines du Monde. Moi je parle d’attirance physique, je parle d’une chose que les scientifiques n’ont pas encore découvert, je vous parle du “truc”. Ce “truc” que personne ne sait décrire, mais que tout le monde connaît. Je pose souvent la question à des amis ou des collègues : Comment est-ce que tu sais que tu l’aimes ? Et la réponse est toujours la même : “Il y a un truc entre nous” ou bien c’est “Je ne sais pas, c’est un truc inexplicable”. Ce “truc” je ne le ressens pas, d’ailleurs je ne ressens pas beaucoup de choses. Je vais vous raconter une histoire pour illustrer tout ça. Un jour j’ai regardé un film incroyable, un film qui m’a complètement bouleversée et même encore aujourd’hui. En me renseignant sur les auteurs de ce chef-d’oeuvre j’ai découvert qu’il était tiré d’un roman que je me suis empressé d’acheter. J’ai avalé environ sept cents pages en deux jours. Ce livre m’a scié, encore plus que le film. Le week-end qui s’en suit je suis invité à la crémaillère d’une collègue et dans la soirée je rencontre un mec passionné par le même film, qui a ensuite acheté le livre et qui l’a dévoré en deux jours comme moi. Ce fut incroyable, nous avons discuté pendant toute la soirée à propos de cette histoire et nous avions décelé chez l’auteur exactement les mêmes choses, nous étions sur la même longueur d’ondes. De plus, il était quand même sacrément beau gosse ! Il m’a raccompagné chez moi mais n’a pas été insistant, un vrai gentleman comme je les aime.
  • L’histoire commence mal, glissa Pauline d’un ton désinvolte.
  • Moi j’ai trouvé ça très romantique, surtout qu’il ne m’a même pas demandé mon numéro, ni mon prénom d’ailleurs. J’ai pensé à lui pendant les deux prochaines semaines et je n’osais pas demander à ma collègue ses coordonnées, de peur de passer pour une catin. Au bout de ces deux semaines je me suis dit que cette aventure était une bonne chose, un signe du destin, qui doit m’apprendre à saisir les occasions quand elles se présentent. Ce mec était surement l’homme de ma vie, celui qui aurait su me comprendre, m’écouter et qui aurait su me faire découvrir la vie. Tant pis ! Cette rencontre éphémère avait tout de même du charme et c’est resté un très bon souvenir. Sauf qu’à peine après avoir pensé que cette rencontre restera un souvenir, je le croise au beau milieu de la rue. Je ne passais jamais dans cette rue, mais ce jour en rentrant du travail j’y suis passé pour pouvoir profiter du soleil. Il était là, beau comme un coeur, habillé avec classe et doté d’un sourire ravageur. Je suis resté muette comme une carpe, j’ai à peine décrocher un bonjour et je l’ai écouté prononcé cette phrase qui me resta gravée dans ma mémoire : “Je suis un idiot, j’ai complètement oublié de te demander ton Facebook à la soirée et de ce fait je n’avais aucun moyen de te re-contacter.”
  • Ah ! Il ne t’a pas oublié c’est déjà bien, remarqua Pauline.
  • Mon Facebook ? Le mec me demande mon Facebook ? Il a quel âge franchement ? Quinze ans ? S’écria Caroline
  • Bienvenue dans l’ère du numérique, même moi je m’y suis mise. Dit Camille
  • Je m’attendais à tout, mais pas à ça, pour moi c’était la phrase de trop. Je lui ai souri et je suis reparti en disant “peut-être la prochaine fois” et en pensant “j’espère qu’on ne se reverra jamais”. Depuis, je n’ai plus remis les pieds dans cette rue.
  • Mais t’es malade ! s’écria Pauline. Tu tombes sur le mec de ta vie, beau, intéressant, avec les mêmes délires que toi et tu le dégages parce qu’il te demande ton Facebook ? Mais c’est quoi ton problème ? Tu te rends compte que tu te prends la tête pour rien ? Tu te rends compte que tu t’empêches d’être heureuse ? »

Encore un long silence pesa sur la terrasse alors que la nuit commença à tomber. Le serveur fut irruption et proposa de prendre la commande. Ce qui soulagea les trois filles, mal à l’aise de ne voir personne répondre. « La même chose » demandèrent les trois filles d’une voix assurée.

Caroline reprit ses esprits et répliqua « Mais je suis complètement d’accord avec toi, sur tous les points. Aujourd’hui encore je trouve cela idiot. Mais ce que je veux dire ici, c’est que jamais je n’ai de remords. Même pas aujourd’hui. Même si j’avoue que mon excuse est bidon, même si j’avoue que je me suis trompée et que je suis certainement passée à côté de l’homme de ma vie, je ne regrette rien. Ce “truc” est apparu et a disparu en une seconde. Quand je l’ai croisé dans cette rue mon coeur a explosé et après sa phrase il s’est éparpillé dans tout mon corps comme s’il n’existait plus. Je ne suis pas malheureuse de cette décision. Je ne suis pas partie à contre-coeur et je ne suis pas triste de me dire que jamais je ne le reverrais. Le “truc” a disparu sans aucune explication.

  • Alors, ce n’était pas l’homme de ta vie, tout simplement dit Camille
  • Ou alors t’es lesbienne, répliqua Pauline »

Cette phrase sortant de la bouche de son amie a déclenché chez Caroline un regard tueur et méprisant. Aucun mot n’est sorti de sa bouche, mais les deux filles ont compris que cette réplique n’était pas du goût de Caroline. Pauline le compris très vite et s’est senti obligé de répondre d’un ton léger « Je plaisante ».

« Alors, tu n’as jamais eu d’amoureux au collège ou au lycée ? Enchaîna Camille.

  • Jamais ! Répondit hâtivement Caroline comme pour se dépêcher de changer de sujet.  J’ai déjà eu un ami très proche, un “best” comme on disait à l’époque. Je l’adorais et lui aussi en retour. Un jour il m’a proposé furtivement qu’on soit plus que des amis mais j’ai refusé. Pas verbalement, mais j’ai ignoré ses allusions pour le laisser dans le doute, j’avais peur qu’on ne soit plus amis après ça.
  • Pourquoi tu n’as pas voulu aller plus loin ? dit Camille
  • Il était moche, répondit Caroline. »

Pauline pouffa de rire et dit : « T’as raison ! Une jolie fille comme toi ne peut pas se balader avec un homme laid.

  • N’importe quoi s’écria Camille. C’est du grand n’importe quoi, comment tu peux juger quelqu’un sur sa beauté ? Un garçon que tu apprécies, qui s’entend bien avec toi et toi tu t’empêches d’être encore plus heureuse avec lui parce qu’il est moche ?
  • Plus heureuse ? Parce qu’être en couple ça rend heureux ? C’est nouveau ça ?
  • J’approuve dit Pauline.
  • Évidemment rétorqua Camille. Aimer une personne en tant qu’amis c’est génial. On peut se confier. On peut l’appeler quand on s’ennuie, quand on est heureux et quand on est triste. On peut parler de nous car on se connaît bien et on peut réfléchir à ce que l’on est. Tout cela est une source de réconfort incroyable mais il manque quelque chose d’important : l’attention physique. C’est bien beau de partager ses sentiments, ses regrets, ses remords, ses joies, ses moments de doute mais ça ne remplacent pas ce moment extraordinaire où la personne que tu aime et que tu désire te prend la main, glisse la sienne à travers tes cheveux. Cet adorable bisou sur le front quand tu es fatiguée ou malade. Ce sentiment de bonheur quand tu poses ta tête sur son épaule ou quand il pose la sienne sur tes cuisses. La chaleur que tu ressens au plus profond de ton coeur quand il pose la main sur tes joues et qu’il s’apprête à t’embrasser. Ce frisson qui traverse ton corps inlassablement quand tu sens sa main remonter sur tes cuisses. Le vide dans ta tête quand les boum-boum incessant de ton coeur s’accélère à chaque centimètre où ta culotte glisse le long de tes jambes …
  • Hop hop hop ! Cria Pauline. On connaît la suite, on ne veut pas la savoir et encore moins l’imaginer.
  • Je suis en train de vous parler d’amour les filles, pas d’une histoire d’un soir, mais bien d’amour. L’amour qui prend le relais de l’excitation. L’amour qui apparaît après quelques mois voire quelques années. Cette chose que l’on croit connaître en lisant des livres romantiques ou en regardant des séries à l’eau de rose, mais que l’on redécouvre à chaque instant. L’amour est puissant, il nous fait faire n’importe quoi, c’est comme une drogue mais c’est tellement plus bon. Cet amour là, il ne peut pas remplacer l’amitié, même une amitié forte. Cet amour là s’exprime par le corps.
  • Ok, très bien dit Caroline. Tu es amoureuse et ça te rend heureuse mais quel rapport avec le couple ? Pour être amoureux on est obligé d’habiter avec quelqu’un ? De se marier et d’avoir des enfants ?
  • Non, chacun exprime son amour comme il le veut, mais il existe une certaine suite logique que tout le monde suit sans vraiment savoir pourquoi. Habiter ensemble est la première étape importante à faire dans un couple, cela permet de se côtoyer au quotidien et quand tu le fais avec une personne que tu aimes c’est un plaisir régulier.  J’ai fais le choix de me marier par tradition. Et mes enfants sont adorables, je les aime de tout mon coeur et les avoir fut un projet merveilleux. Mais je ne suis pas convaincu qu’on puisse avoir ce genre de relations avec des amis.
  • C’est évident dit Pauline, on commence par aimer quelqu’un, par aimer passer du temps avec cette personne et au fur et à mesure on a envie de passer de plus en plus de temps et donc on finit par avoir le même appartement puisque de toute façon nous sommes toujours chez l’un ou chez l’autre alors autant ne payer qu’un seul loyer.
  • Je mentirais en disant que ce n’est pas tentant de vivre l’amour, dit Caroline, mais j’adore ma vie. J’aime être seule chez moi, j’aime m’endormir en prenant toute la place, j’aime avoir mon jardin secret et ne pas le partager avec quelqu’un d’autres, j’aime faire l’amour mais pas avec un rendez-vous d’un soir, j’ai envie de partager cette attention avec des amis mais j’ai l’impression que les codes sociaux de notre vie ne s’adaptent pas à moi. »

Et c’est d’un air triste que Caroline termine sa phrase en finissant son verre pour éviter d’avoir la gorge trop nouée.

« Il faut dire que ce n’est pas très habituel, dit Camille.

  • Et alors ? Pourquoi être habituel ? répondit Caroline. Pourquoi se poser des barrières alors que l’on n’est pas obligé ?
  • Parce que l’amour finit toujours mal et que nous n’avons pas envie de terminer une relation avec des amis, dit doucement Pauline.
  • Non ! s’écria Camille. L’amour ne finit pas toujours mal, un amour ça ne finit jamais mal, un amour ça se finit quand ça doit se finir. Le fait qu’il se finisse mal n’est pas à cause de lui, mais à cause de ceux qui ne veulent pas l’abandonner. On ne doit pas retenir les choses qui nous échappent. Quand c’est fini, c’est fini ! C’est triste, mais on doit vite oublier pour tenter de retrouver quelque chose d’identique. Faire l’amour avec quelqu’un c’est quelque chose d’intime et je n’ai pas envie de le partager avec mes amis. Mes amis sont là pour me distraire, pour m’écouter me plaindre de ma vie de couple, ils sont également là pour que je les écoute se plaindre de leur vie. Ce sont des relations fortes mais différentes. Je ne me vois pas être intime avec plusieurs personnes.
  • Parce que tu penses que l’amour que tu partages avec ton mari va se terminer ? dit Caroline.
  • Je ne sais pas, peut-être ou peut-être qu’il va durer toute ma vie. répondit Camille. Je ne sais pas quand va se terminer ma vie donc comment puis-je imaginer quand va se terminer mon amour ?
  • Moi je sais que l’amour que je trouverais durera toute ma vie, dit Pauline. L’amour éternel ça existe et je sais qu’on finit toujours par tomber dessus. Et comme je sais qu’il mourra avec moi, je préfère profiter maintenant.
  • Profiter de quoi ? dit Caroline.
  • De moi ! Je m’occupe de moi, je me fais plaisir sans penser aux autres, je me balade où je veux, je mange ce que je veux, je me réveille à quinze heures si je veux. Je vis ma vie à fond car je sais qu’à deux je passerais forcément des moments de ma vie à m’occuper de quelqu’un d’autres plutôt que de moi.
  • Moi je peux te dire qu’avec deux petits et un grand enfant à la maison je ne m’occupe plus beaucoup de moi. dit Camille.
  • Et ça ne vous gêne pas, dit Caroline d’un air choqué. Vous vous privez de votre vie, vous vous privez des choses que vous aimez seulement par amour ?
  • Oui répondirent en choeur les deux autres filles.
  • Toi, tu ne te prives pas de ta vie, mais tu te prive de l’amour et crois moi c’est bien pire dit Camille.
  • Je ne me prive pas, je veux seulement le vivre autrement, mais personne ne me laisse le choix, ni la place pour ça. dit Caroline dépitée. Vous ! J’aimerais tellement vous aimer plus fort encore, mais je vois que ce n’est pas de votre goût. Et c’est toujours comme ça ! Soit j’aimerais aimer les gens mais ils se refusent à moi, soit des gens veulent m’aimer mais d’un amour trop fort, trop insistant. »

Sur ces mots, Pauline se leva de sa chaise et embrassa son ami. Puis c’est au tour de Camille de faire la même chose. Un câlin très fort qui n’a qu’une signification pour Caroline : “je t’aime bien, mais pas plus que ça”.

« Vous êtes gentilles dit Caroline, mais vous vous n’êtes jamais posé cette question : “et si je pouvais continuer à m’occuper de moi tout en étant amoureuse ? D’avoir des aventures sexuelles avec des gens différents, des gens avec lesquels le feeling passe pour un soir ou pour plusieurs. De profiter de ma vie et de profiter de l’amour qu’une fois de temps en temps.” dit Caroline.

  • C’est physiquement impossible ! rétorqua Pauline. L’être humain est comme ça, il est possessif, accro et exclusif. L’amour est une richesse tellement exceptionnel que personne ne veut le partager. Si tu partages ton amour alors tu le vis moins intensément et l’être humain a besoin d’une dose toujours plus forte, même en amour. L’amour n’est réel que s’il n’est échangé qu’entre deux personnes. C’est comme un cours d’eau, si tu le sépares en deux il y aura toujours autant d’eau, mais séparé en deux petits cours d’eau plutôt qu’un grand.
  • J’approuve dit Camille, si je ne devais profiter de l’amour que quand je vois mes amis alors je serais triste de n’en profiter qu’occasionnellement. Arrivé à un certain stade on est tellement amoureux qu’on est prêt à sacrifier sa vie pour l’autre. Et l’autre ne peut être qu’une personne.
  • Je suis en train de vous parler de prendre tous les avantages et de laisser les inconvénients, dit Caroline. Si tu aimes un ou une ami(e) tellement fort, mais que tu n’as aucun désir sexuel pour lui. Ne peux-tu pas profiter de son amour et profiter du sexe avec quelqu’un d’autres ? Il faut forcément que les deux soient compatibles ?
  • Oui, disent à nouveau les deux filles.
  • Le cours d’eau dit Pauline. Si les deux cours d’eau sont réunis alors c’est l’extase totale.

Caroline souffla comme pour abandonner.

« Je suis comme coincé dans ma vie, prisonnière d’un monde qui ne me correspond pas, j’ai l’impression d’être seule à vivre dans ce monde et qu’il va falloir que je fasse un choix : sortir de ce monde et renier ma liberté ou y rester, mais vivre seule. »

Et voici qu’un calme gênant vient s’asseoir à leur table, les yeux de Caroline sont humides. Camille compatit et se sent vraiment mal pour son amie. Pauline ne sait plus où se mettre, elle repense à sa vie, à cet amour qu’elle croise régulièrement, mais à qui elle refuse d’ouvrir sa porte. C’est la première fois qu’elles parlent de leurs sentiments et jamais auparavant elles ne se seraient doutées que Caroline était malheureuse. Cette fille au grand coeur, toujours de bonne humeur, toujours joyeuse. Personne ne pouvait se douter de la taille de la carapace qu’elle venait d’enlever ce soir. Le serveur interrompt ce calme pour annoncer la fermeture du bar. Demain matin tout le monde recommencera sa vie.